Grand âge et autonomie, interviews croisées

Face aux défis liés au vieillissement de la population et à la transition épidémiologique associée, l’organisation du système de santé et de la protection sociale n’apportent pas à ce jour de réponse satisfaisante. En tant qu’acteur global du système de santé et pour lutter contre les inégalités, la Mutualité Française s’est mobilisée depuis les prémices de la loi « Grand âge et autonomie », qui devrait voir le jour cette année. Elle propose dans ce dossier spécial, trois interviews croisées d’acteurs majeurs du secteur.

La crise sanitaire actuelle a mise en évidence une propagation importante du virus dans les EHPAD*, quelle a été la stratégie de l’ARS sur le territoire ?

Pierre Ricordeau : La stratégie de l’ARS Occitanie repose d’abord sur des mesures de prévention : depuis le début de l’épidémie, notre objectif est d’éviter tout d’abord que le virus entre dans nos EHPAD*.

L’ARS Occitanie a ainsi été l’une des premières régions à rendre le port du masque chirurgical obligatoire pour tous les personnels des EHPAD*. Des recommandations graduées ont été mises en place afin d’adapter le niveau des mesures en fonction de l’évolution de l’épidémie. Avec les équipes des EHPAD*, nous sommes mobilisés pour « casser » les chaines de contamination le plus tôt possible quand le virus entre dans un établissement pour personnes âgées.

Dès le premier cas, l’objectif est de déclencher le dépistage de l’ensemble des résidents et des personnels de l’EHPAD* pour isoler les cas Covid et mettre en place des mesures spécifiques comme une sectorisation au sein de l’EHPAD*, pour isoler les résidents Covid.

Dès le mois d’avril, nous avons aussi organisé un appui et une expertise médicale pour l’ensemble des EHPAD*, apportée notamment par les équipes spécialisées de nos CHU. Des astreintes téléphoniques gériatriques, les plateformes « Covid Personnes Agées », sont opérationnelles dans toute la région.
Ces dispositifs ont un rôle proactif qui permet l’évolution et l’adaptation de cette stratégie et des outils à disposition des établissements.

Les équipes mobiles d’hygiène ont également été renforcées, pour intervenir au plus près des établissements en difficultés. Avec les équipes des EHPAD*, nous sommes désormais mobilisés pour déployer rapidement la vaccination, pour protéger à la fois résidents et personnels.

Quelles sont les pistes portées par l’ARS pour retarder l’entrée dans la dépendance ?

P. R. : L’ARS Occitanie soutient fortement le programme ICOPE. Ce programme de l’OMS, porté par le Gérontopôle du CHU de Toulouse, a vocation à accompagner une évolution sociétale forte : le vieillissement de la population mondiale. Il vise plus particulièrement à prévenir la dépendance des personnes vieillissantes en adaptant le système de santé à cette évolution. C’est un programme qui repose sur le repérage des personnes âgées fragiles afin d’évaluer le plus tôt possible leur état de santé mais également leur situation sociale.
L’objectif est de mettre en place les prestations nécessaires pour retarder l’entrée dans la dépendance.

La première phase de repérage du programme repose essentiellement sur l’investissement des infirmiers de la région. Dans le contexte actuel post confinement, il est urgent de déployer ce projet sur l’ensemble de la région afin de permettre aux personnes âgées d’Occitanie d’en bénéficier dans les meilleurs délais.

Dans cet objectif, l’ARS Occitanie a débloqué un financement de 2M€ afin de permettre la formation de 2 000 infirmiers d’ici 2022 et assurer le repérage de 160 000 personnes âgées à domicile.

Le vaccin contre la Covid-19 est arrivé en France, quelles sont les modalités de déploiement ?

P. R. : La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié, le 30 novembre dernier, des recommandations préliminaires sur la stratégie de priorisation des populations à vacciner dans le contexte de crise sanitaire et d’approvisionnement progressif des doses de vaccins au fil de l’année 2021. L’HAS a apporté le 17 décembre des précisions à ces recommandations. Cinq phases y sont définies, visant à attribuer les premières doses disponibles aux personnes les plus à risque de faire des formes graves de Covid-19 et les plus exposées au risque d’infection. Partout en France depuis ce début d’année, la campagne de vaccination cible donc en priorité les populations plus vulnérables face au virus, du fait d’un l’âge élevé et de facteurs de risques.

En Occitanie, les opérations de vaccination se sont démultipliées en 2 semaines dans 300 EHPAD* et Unités de soins de longue durée. Elles se poursuivent cette semaine dans 220 établissements supplémentaires. Résidents et personnels sont invités à choisir la protection par le vaccin. Très rapidement, cette campagne s’est élargie à tous les établissements qui accueillent des personnes âgées, puis à l’ensemble de nos aînés de plus de 75 ans et à tous les patient les plus à risque du fait de leur état de santé. En 15 jours, plus de 57 000 personnes ont déjà été vaccinées en Occitanie. Très rapidement, 118 centres de vaccinations ont été déployés dans toute la région et 83 000 rendez-vous y ont déjà été fixés pour la vaccination des personnes prioritaires.

Ces rendez-vous ne peuvent être immédiats pour tous. Les vaccins sont livrés de façon régulière. Dès que de nouvelles doses sont disponibles, de nouveaux rendez-vous sont proposés dans les centres de vaccination.
Toutes les personnes volontaires pourront bénéficier d’un vaccin au cours des prochaines semaines.

Avec l’explosion attendue du nombre de personnes en perte d’autonomie, le besoin de places en EHPAD* va devenir « massif » d’ici à 2030, comment vous préparez-vous à cela ?

Jean-Marc Gaffard : Pour accompagner cette réalité démographique tout en tenant compte du souhait souvent exprimé par les personnes âgées de continuer à vivre chez soi, AÉSIO Santé lance 4 expérimentations de plateforme de services favorisant le maintien à domicile, appelées aussi EHPAD* à domicile, dont une à Saint- Martin-de-Londres dans l’Hérault.

Ces expérimentations ciblent les personnes âgées en situation de perte d’autonomie, qui souhaitent rester à domicile, pour lesquelles, un accompagnement dit classique des services à domicile n’est plus suffisant et qui pourraient être orientés vers un EHPAD*.

Ce dispositif s’appuie sur nos services de soins infirmiers à domicile et nos EHPAD* et propose une prise en charge globale, sécurisée et coordonnée grâce entre autres à un pack technologique innovant.

Quels enseignements tirez-vous de la crise sanitaire actuelle ?

J.-M. G. : La crise sanitaire que nous traversons nous rappelle que nos établissements accueillent des personnes âgées de plus en plus dépendantes,
nécessitant des soins de plus en plus complexes. Ils sont la solution de dernier recours lorsque le maintien à domicile devient impossible malgré les aides. La crise a amplifié ce besoin de réorganisation des soins. Si nos établissements doivent rester des lieux de vie, les besoins sanitaires ne doivent pas être occultés.

Nous devons pouvoir aménager dans chaque établissement une unité médicalisée bénéficiant des équipements nécessaires aux soins (distribution de gaz médicaux, pression de l’air, sas de décontamination, …) ou encore un espace dédié à la télémédecine (et donc prévoir les réseaux nécessaires à l’échange de données régulier).

Outre les soins, l’architecture de nos établissements d’hébergement doit évoluer. En France, de nombreux établissements sont vétustes et nécessitent de vastes programmes de rénovation ou construction. Ces projets doivent intégrer dès leur conception les nouveaux besoins, comme par exemple, la création de petites unités de vie, plus faciles à confiner en cas d’épidémie.

La réforme Grand âge et autonomie met en avant l’EHPAD* de demain ; comment s’intègre le Groupe AÉSIO Santé dans cette démarche ?

J.-M. G. : AÉSIO Santé a initié depuis plusieurs années maintenant une réflexion pour repenser nos établissements d’hébergement pour personnes âgées et créer un lieu capable de prendre en charge toutes les dépendances, dans un environnement générateur de lien social et de bien-être. De ces réflexions est née la Cité des Aînés, un concept totalement inédit qui met l’innovation au service de la qualité de vie des personnes âgées et des professionnels de santé. Une Cité des Ainés a ouvert ses portes à Montpellier en novembre 2020.

Nous avons noué un partenariat avec l’Ecole des Mines pour créer un living lab, MedTechLab, qui nous permet de repenser également les équipements et services proposés aux usagers. Notre objectif : améliorer le lieu en permanence et s’adapter à l’évolution des besoins des personnes âgées.

* EHPAD : Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes

Comment les métiers d’aide à domicile ont joué un rôle clé durant cette crise sanitaire ?

Régine Delès : La crise sanitaire que nous subissons depuis le mois de mars dernier, aura au moins contribué à mettre en visibilité le rôle essentiel, indispensable, parfois vital des métiers de l’autonomie, du soin et du prendre soin, en révélant en plein jour leur « utilité sociale ».

En effet, que serait-il advenu si les services d’aide à domicile n’avaient pu continuer à fonctionner lors du premier confinement ? Quid des usagers dépendants que nous aidons dans les actes essentiels de la vie quotidienne quand les hôpitaux étaient saturés et de nombreux établissements fermés ?
Comment faire pour pouvoir sortir du lit le matin, pouvoir déjeuner, être changé, habillé, pour aller faire les courses, mais aussi assurer une présence, et pouvoir continuer à soulager les aidants familiaux … ?

Les Services d’Aide et d’Accompagnement à Domicile ont dû hiérarchiser leurs interventions, en se rendant en priorité chez les personnes qui avaient besoin d’aide pour les actes essentiels de la vie quotidienne, les personnes très isolées, dépendantes, et les familles en grande difficulté. En effet, au début du premier confinement, les SAAD* ont été confrontés à un taux d’absentéisme important en raison essentiellement de la fermeture des écoles. Il a fallu attendre quelques semaines, et les revendications des fédérations du domicile, pour que ces personnels puissent être reconnus comme prioritaires et que leurs enfants puissent être pris en charge par les écoles réquisitionnées.

Que pensez-vous du « virage domiciliaire », au cœur de la réforme Grand âge et Autonomie ?

R. D. : L’ensemble des acteurs des services d’aide et d’accompagnement à domicile ne peut, bien entendu, que se réjouir de la réforme du Grand âge et de l’Autonomie que semble vouloir engager le Gouvernement autour du beau défi du « virage domiciliaire ».

Il est vrai que depuis de nombreuses années, le secteur du domicile a été le grand oublié des politiques publiques.
Pour mener à bien ce chantier de la réforme du Grand Âge, il est nécessaire de travailler, en amont, sur l’attractivité des métiers du Domicile et à la réduction des écarts salariaux, compte tenu des rémunérations particulièrement faibles depuis longtemps dans ce secteur pourtant essentiel.

Par amendement au PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale), le Gouvernement propose de débloquer 150 millions en 2021 (puis 200 millions à compter de 2022) pour revaloriser les salaires des professionnels exerçant en service à domicile. Cela constitue un premier pas, mais celui-ci doit en appeler d’autres, dans la mesure où cette hausse est nettement insuffisante.

Quoi qu’il en soit, les départements et les fédérations d’employeurs vont devoir s’accorder rapidement sur les moyens de financer la revalorisation des salaires dans l’aide à domicile, le Gouvernement souhaitant une mise en application au plus tard au second
semestre 2021.

Les perspectives en termes de Gouvernance, de place du domicile se concrétiseront, à condition que la branche tout entière maintienne sa mobilisation. La politique de l’Autonomie doit être construite avec les acteurs du Grand Âge. Il y a urgence à agir car notre pays doit faire face au défi démographique majeur de longévité mais aussi de l’accompagnement des personnes en situation de Handicap.

* SAAD : Services d’Aide et d’Accompagnement à Domicile

Prime Covid-19 pour les aides à domicile

Régine Delès : Si l’Etat a pu s’appuyer sur l’Assurance maladie pour verser une prime exceptionnelle au personnel des hôpitaux et des EHPAD, le financement des aides à l’autonomie n’est pas directement de sa compétence mais de celle des Conseils Départementaux.
L’accord conclu en août avec l’Assemblée des Départements de France a prévu un système incitatif : débloquant 80 millions d’euros, l’Etat a proposé de financer la moitié de la prime si la collectivité consentait à un effort au moins égal. À ce jour, 101 départements ont joué le jeu.
Cependant, on constate de grandes disparités dans le versement de cette prime. D’abord, en ce qui concerne le montant : annoncé de 1 000 à 1 500 euros dans la plupart des départements, elle est inférieure à 750 euros dans douze d’entre eux. Son montant est encore « inconnu » dans quinze autres. Et dans le Jura et la Loire, il n’y en aura pas …