Santé mentale : « Il ne faut surtout pas avoir honte, tout le monde peut être concerné »

“Santé mentale : nouvelles souffrances, nouvelles réponses”. C’est le thème de la table ronde organisée par la Mutualité Française Occitanie le 8 juin de 9 h à 10h30.
Entretien avec le Pr Laurent Schmitt, psychiatre au CHU de Toulouse et président de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie d’Occitanie (CRSA).

En matière de santé mentale, quelles sont les souffrances les plus répandues aujourd'hui ?

Nous assistons actuellement à un phénomène assez net, probablement accéléré par les périodes de confinement liées à la crise sanitaire. Nous constatons une majoration des troubles anxieux, parmi lesquels des attaques de panique. Nous voyons croître le sentiment d’insécurité. Cela peut s’expliquer par les messages anxiogènes qui sont véhiculés, en relation avec la Covid-19, bien entendu, mais aussi avec la guerre en Ukraine. Cette atmosphère s’inscrit en opposition avec une tendance de sécurité absolue, qui était jusque-là celle de nos sociétés. Dans un milieu de plus en plus sécurisé, tout à coup, la santé est devenue insécuritaire et on comprend que des missiles pourraient frapper, demain, Paris ou Londres. D’une certaine manière, on se sentait préservé et ce n’est plus le cas. Les messages anxiogènes ont ravivé nos peurs.

Voyez-vous émerger de nouvelles souffrances depuis quelques années ?

En effet, les troubles ne sont pas tout à fait les mêmes. Nous assistons ainsi, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes, à une augmentation des idées suicidaires ainsi qu’à une hausse des troubles du comportement alimentaire, qui constituent une épidémie un peu silencieuse. Nous voyons également beaucoup d’addictions à l’alcool et au cannabis, des substances servant d’exutoire. Ce ne sont évidemment pas des pathologies nouvelles, mais nous constatons à une nette recrudescence de ces situations. Il y a un autre phénomène qu’il me semble intéressant de souligner : nous voyons apparaître depuis quelques années une libération de la parole dans le cadre de faits d’attouchements, de harcèlement ou de sévices sexuels. Ces faits existaient bien entendu avant. Mais désormais, les jeunes femmes osent en parler. Ce n’est plus considéré comme « honteux ». Enfin, une autre tendance, relativement nouvelle, nous alerte : nous avons aujourd’hui des jeunes adultes dépendants des écrans, qui se replient chez eux dans une sorte de vie parallèle, en perte de contact progressive avec la réalité. Le plus souvent, ce ne sont pas eux qui viennent nous consulter, mais leurs familles, qui souffrent de les voir se couper ainsi du monde extérieur.

Le télétravail généralisé a-t-il eu un effet sur la santé mentale des salariés ?

Lorsque le télétravail a été un mode d’organisation exclusif, les gens ont été mal, c’est vrai. Le même phénomène a été constaté chez les étudiants, qui n’en pouvaient plus de suivre leurs cours exclusivement en visio-conférence. Tout cela a favorisé le développement d’états anxieux. En réalité, le télétravail ne peut pas être une méthode exclusive, car nous avons tous besoin de contacts sociaux.

Vous présidez la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie en Occitanie. Quel regard portez-vous sur les problématiques de fractures sociales et territoriales dans l'accès au soin, dans notre territoire ?

Nous assistons à une fragilisation de notre système sanitaire. Les personnes qui cherchent à obtenir une consultation psychologique ou psychiatrique font souvent face à des délais relativement longs. Or, ce sont des gens fragilisés. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place, au CHU de Purpan, un dispositif de soins partagés en psychiatrie qui permet d’obtenir un premier rendez-vous dans les dix jours, contre trois à cinq mois d’ordinaire. Et en parallèle, l’Etat a lancé en avril dernier un dispositif (baptisé MonPsyNDLR) permettant aux patients en souffrance psychique de bénéficier d’une prise en charge par un psychologue remboursée par l’Assurance Maladie, sur huit séances. C’est un premier pas. Il y a aujourd’hui une véritable réflexion à mener autour des réponses qui doivent être apportées, notamment le soir et le week-end. Plusieurs leviers peuvent être activés, hors des systèmes d’urgences : la mobilisation d’infirmiers très spécialisés, par exemple, ou encore l’ouverture de centres médico-psychologiques. Il peut également être intéressant de mobiliser, notamment dans le cadre de la médecine de ville, le réseau des praticiens, psychologues, kinés, pharmaciens, infirmiers, etc, qui peuvent détecter, à leur niveau, des difficultés en termes de santé mentale. Concernant la fracture territoriale, c’est une situation que nous étudions évidemment de très près au sein de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie en Occitanie. Il est vrai qu’au cours des dernières années, la démographie des soignants s’est beaucoup modifiée. Lorsque l’on vit dans le Sidobre ou au fin fond de l’Ariège, il est difficile de trouver un rendez-vous. Et dans notre spécialité, ce n’est pas la télé-médecine qui va arranger les choses. Il faut donc multiplier les actions en vue de renforcer l’attractivité de ces territoires ruraux.

Considérez-vous que, dans ce contexte, la parole des usagers est suffisamment prise en compte ?

Les usagers ont un rôle essentiel à jouer. Il y a aujourd’hui des associations de patients spécialisées dans des pathologies spécifiques, des patients experts. Il faut les encourager. Il est nécessaire que leur parole soit davantage prise en compte.

La seule évocation de la santé mentale peut faire peur. Quel message adressez-vous aux personnes qui n'osent pas en parler, qui n'osent pas consulter ?

Je répondrai en deux temps à cette question. Tout d’abord, les médias ont de mon point de vue leur part de responsabilité. Car le traitement journalistique de ces questions, parfois sensationnaliste  quand on parle au quotidien d’actes de forcenés, de déséquilibrés, par exemple , peut induire un sentiment de peur. Mais aux personnes en souffrance, je souhaite dire : n’ayez pas honte, cela peut arriver à tout le monde ! Vous le voyez, certaines personnalités comme Benoît Poelvoorde ou encore Stromae parlent aujourd’hui de leurs problèmes. N’oublions pas qu’un Français sur cinq fera un jour une dépression. Tout le monde peut être concerné, des soins existent et ce ne sont pas des maladies honteuses.

Une table ronde pour en parler

La Dépêche du Midi et la Mutualité Française Occitanie organisent une table ronde à Toulouse, au siège du journal, le 8 juin prochain, de 9 heures à 10h30, sur le thème : Santé mentale : nouvelles souffrances, nouvelles réponses. La conférence permettra d’entendre les points de vue de Laure-Marie Issanchou, directrice santé de la Mutualité Française, du Pr Laurent Schmitt, président de la Conférence régionale de la santé et de lautonomie dOccitanie (CRSA) et de Philippe Terral, sociologue et professeur à lUniversité Toulouse III – Paul Sabatier, directeur du laboratoire Cresco (Centre de recherches sciences sociales, sports et corps).

Renseignements et inscriptions sur https://occitanie.mutualite.fr/evenements/sante-mentale/

Article paru le 23/05/2022 dans la Dépêche du Midi