Pauvreté et précarité en Occitanie : état des lieux et préconisations du CESER

L’avis du CESER Occitanie consacré à la pauvreté et la précarité dans la région dresse un état des lieux alarmant et propose des solutions innovantes pour renforcer la cohésion sociale et la solidarité territoriale.

Pauvreté en Occitanie : des chiffres inquiétants

L’Occitanie est la quatrième région la plus touchée par la pauvreté en France métropolitaine, avec un taux de pauvreté de 16,8 % contre 14,4 % au niveau national. Ce sont 960 000 personnes, soit près d’un habitant sur six, qui vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 1 120 € par mois pour une personne seule, alors que le revenu médian régional est de 1 780 €. En outre, 490 000 personnes vivent juste au-dessus du seuil de pauvreté ; les prestations sociales représentent
27 % de leurs revenus. Sans ces aides, 290 000 d’entre elles basculeraient aussi sous le seuil.

L’avis souligne également la forte concentration de pauvreté dans certains départements : Pyrénées-Orientales (21,2 %), Aude (20,8 %), Gard (20 %), Hérault (19,4 %) et Ariège (19 %), qui figurent parmi les dix départements les plus pauvres de France. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) affichent des taux de pauvreté pouvant atteindre 75 %, avec une sur-représentation des moins de 25 ans (près de 40 %).

Publics concernés et nouvelles formes de précarité

La pauvreté touche désormais toutes les catégories de la population, pas seulement les groupes traditionnellement vulnérables. Parmi les personnes les plus affectées figurent :

  • Les familles monoparentales et les mères isolées, souvent confrontées à des emplois précaires et à des charges familiales lourdes.
  • Les personnes âgées : le minimum vieillesse, à 1 012 € par mois, demeure 200 € sous le seuil de pauvreté.
  • Les personnes en situation de handicap : 2 millions vivent sous le seuil de pauvreté en France ; l’AAH atteindra 1 035,53 € en 2025, insuffisant pour sortir de la précarité.
  • Les étudiants : plus de la moitié ont moins de 50 € de reste à vivre par mois, 1 sur 10 a déjà dormi dehors ou dans sa voiture.

Le non-recours aux droits sociaux accentue ces difficultés : environ 30 % des personnes éligibles ne sollicitent pas les aides auxquelles elles ont droit, le plus souvent par manque d’information ou face à la complexité administrative.

Les acteurs institutionnels et leur rôle

L’avis valorise le rôle majeur des différents acteurs : Pacte des Solidarités mis en œuvre par un Commissaire régional à la lutte contre la pauvreté, les collectivités territoriales et les organismes sociaux de la Sécurité sociale. Il salue également l’engagement des bénévoles des associations qui œuvrent au quotidien au plus près des personnes, des besoins et des territoires.

Préconisations du CESER : innovation sociale et approche territoriale

Afin de palier l’urgence de la situation, le rapport recommande :

  • La création d’un label « Sentinelle Sociale », garantissant la pérennisation du financement public des associations engagées dans la lutte contre la pauvreté et la précarité.
  • L’instauration d’un socle de base universel : cette allocation sociale cumulable avec un revenu d’activité, pour protéger chaque individu de la pauvreté et encourager l’insertion par le travail, pourrait être expérimentée en Occitanie ou bien sur l’un de ses treize départements.
  • Le développement de l’automaticité du versement des droits sociaux et la portabilité des droits entre territoires.
  • La mutualisation des moyens logistiques et des stratégies de « l’aller vers » dans l’accompagnement des publics vulnérables, en particulier en milieu rural ou dans les quartiers prioritaires.

La publication de cet avis est un appel à l’action pour tous les acteurs engagés dans la santé, la protection sociale et l’accompagnement, afin de répondre efficacement aux enjeux sociaux et sanitaires du territoire.

Trois questions à… Jean-Louis Chauzy, président du CESER Occitanie

 

 

 

 

 

 

1- Quels sont, selon vous, les facteurs majeurs qui expliquent que l’Occitanie soit la 4e région la plus touchée par la pauvreté en France métropolitaine ?

L’Occitanie est faite de paradoxes : c’est une région d’un peu plus de 6 millions d’habitants qui attire près de 42 000 nouveaux résidents chaque année. Bien qu’elle soit la 4e région française pour sa richesse créée et ait une bonne croissance économique grâce à Toulouse et Montpellier, le taux de chômage y est élevé à 8,4 % – pourtant de nombreux emplois sont non pourvus – et un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté monétaire fixé à 60 % du revenu médian français ou juste au-dessus (halo de pauvreté).  La région a aussi une population vieillissante. La pauvreté s’observe particulièrement dans les départements littoraux qui sont parmi les plus pauvres de France, les centres urbains concentrant notamment des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et les territoires ruraux. Familles monoparentales, familles nombreuses, femmes, enfants, chômeurs sont les publics les plus concernés mais il y a aussi ces publics nouveaux : étudiants, travailleurs, retraités, chefs d’entreprise, agriculteurs… Ce sont là les visages de la pauvreté en région.

Les causes de cette pauvreté en Occitanie ? On peut dire qu’elles sont multifactorielles, comme partout ailleurs.

Tout d’abord, il y a la dégradation et la précarité de l’emploi. Depuis quelques années, on a fait baisser le chômage à coups de flexibilité, d’emplois sous-payés et précaires, à temps partiel, créant une précarité de masse. Les inégalités femmes/hommes dans le rapport au travail (davantage de temps partiel et des salaires plus bas pour les femmes), l’accès à l’éducation qui n’est pas le même pour tous…font partie de ces causes systémiques.

On peut aussi évoquer la désindustrialisation du territoire occitan ; une politique de la ville pas assez efficace, sur 108 quartiers prioritaires de la politique de la ville au 1er janvier 2024, certains ont des taux de pauvreté parmi les plus élevés de France, où environ 70 % de la population est en situation de pauvreté. Il y a aussi des faits aggravants propres à l’Occitanie, notamment ceux liés aux enjeux climatiques.

D’autres facteurs font basculer dans la pauvreté ou révèlent la pauvreté : la perte d’un emploi, une rupture conjugale, le décrochage scolaire, l’illettrisme, l’illectronisme, la difficulté d’accès à un logement, aux soins médicaux…le non recours aux droits sociaux.

On constate enfin que le climat et l’environnement littoral de l’Occitanie et le soleil du Midi n’attirent pas que les touristes et les retraités mais aussi, au vu des statistiques de l’INSEE, nombre de personnes pauvres ou précaires, donnant en partie raison à Charles Aznavour quand il chante « Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil ».


2- La question du non recours aux droits sociaux est récurrente, avec près de 30 % des personnes éligibles qui ne demandent pas les aides. Quelles solutions concrètes le CESER propose-t-il pour améliorer l’accès aux droits, notamment en matière d’accès aux soins, et de simplifier les démarches administratives ?

Concernant le non-recours aux droits sociaux, 30 % des personnes qui peuvent prétendre au versement des prestations sociales existantes de par leur situation personnelle ne les demandent pas, par ignorance, par découragement, par illectronisme, par crainte des conséquences ou refus d’assistance.

Pour remédier à cette situation de non-recours aux droits sociaux, il importe pour le CESER de réduire le millefeuille administratif.

Il est à noter que l’État met en œuvre de 2023 à 2026 l’expérimentation « zéro non recours » sur 39 territoires, pour repérer, informer et accompagner les personnes en vue de leur accès au RSA, à la Prime d’activité, au chèque énergie, aux APL et à l’accès aux services publics.  Des communautés de communes dans l’Aude, le Gers, le Lot, la ville de Montpellier, le Département de la Haute-Garonne font partie de ces territoires d’expérimentation. Depuis mars 2025, le versement de la « solidarité à la source » est instauré pour le RSA et la prime d’activité, ce qui a pour but de simplifier les démarches pour les bénéficiaires et tend à lutter contre le non recours aux aides sociales.

Le CESER pour sa part préconise : l’instauration d’une allocation sociale de base universelle, cumulable avec les revenus du travail, à expérimenter en Occitanie, et un fichier national sécurisé des pièces justificatives qui simplifierait la demande de droits dans un nouveau département de résidence, garantissant ainsi la portabilité des droits sociaux à créer. Enfin, des outils numériques comme SOLIGUIDE (système d’information grand public, guide de la solidarité) seraient à développer pour améliorer l’information de l’offre territoriale existante à proximité de chez soi et l’accès aux droits (offre en matière d’accueil, d’hébergement de secours, d’organismes sociaux…).

Concernant l’accès aux soins, dans ce rapport le CESER souligne le « Programme régional relatif à l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies » (PRAPS), pour la période 2023-2028, qui a pour objectif d’aider les personnes en situation de précarité à accéder aux soins et à la prévention en santé. Ce programme a été élaboré par l’Agence régionale de santé après des consultations avec les acteurs locaux et la population. L’accès aux soins doit être proactif pour ces populations. Des méthodes innovantes, comme des médico-bus mobiles équipés d’imagerie médicale ou des campagnes de sensibilisation, sont envisagées. La santé dépend aussi de l’environnement social et naturel et la coordination entre le ministère de la santé et les ministères d’autres secteurs (aménagement du territoire, industrie, sécurité alimentaire, risques technologiques et naturels…) est déterminante pour répondre au mieux aux besoins. La Région Occitanie, pour sa part, agit pour renforcer un service de santé proche des habitants, avec la création depuis 2022 de centres de santé dans les territoires et le recrutement de professionnels, ou la participation à la modernisation et la reconstruction des hôpitaux locaux ; initiatives soutenues par le CESER pour faire face aux déserts médicaux.


3- À la lecture de ce rapport nous prenons conscience de l’urgence d’agir, quelles sont les priorités et les pistes d’innovation à explorer dans les prochaines années pour permettre de réduire durablement la pauvreté et renforcer la cohésion sociale ?

La France est reconnue pour sa solide couverture sociale, l’État, les collectivités et les organismes sociaux mettant en œuvre la solidarité nationale avec une redistribution de la richesse nationale produite. Cependant, il est important de différencier les responsabilités de l’État et l’engagement des acteurs locaux tels les acteurs économiques, sociaux, associatifs, citoyens et collectivités territoriales, dans la lutte contre la pauvreté. 

Le CESER propose de développer une stratégie collective en Occitanie pour lutter contre la pauvreté via une approche intégrée des politiques publiques, en favorisant des solidarités entre collectivités sur des objectifs communs. La qualité de vie sociale dépend de plusieurs politiques, telles que le logement, l’éducation (l’école est au cœur de l’égalité des chances), l’éducation populaire, la formation professionnelle, la culture, le sport…. Il est essentiel de coconstruire des évaluations de l’impact des politiques sociales pour mieux mesurer leur efficacité. 

La redistribution de la solidarité nationale apparaîtrait alors clairement comme un investissement social et national efficace et non comme un don caritatif soumis à des variables d’ajustement budgétaires. Il est par ailleurs nécessaire de redonner une dimension humaine aux métiers du champ social, tant pour redonner sens et vocation aux professionnels du secteur, que pour favoriser un accueil et une aide personnalisée sources d’espoir et de résilience pour les ayants droits.

Le CESER reconnaît, à cet égard, le rôle essentiel des bénévoles dans l’accompagnement des personnes en situation de précarité. Il propose un label « Sentinelle sociale » pour les associations reconnues d’utilité publique ou d’intérêt général, agissant en lien avec l’État, les collectivités, ou les organismes sociaux, qui jouent un rôle clé dans cette lutte contre la pauvreté. Ce label assurerait une meilleure sécurisation financière de leurs actions, via des subventions non soumises aux aléas budgétaires. 

De plus, il est crucial d’inclure les témoignages des personnes touchées par la pauvreté – et notre rapport les a mises en lumière –  dans les politiques et actions à élaborer et à mettre en œuvre.

Enfin, en allant bien au-delà de ce rapport, le développement économique, notamment à travers le programme national Territoires d’industrie que le CESER soutient, pourrait aider à réduire la pauvreté en créant des emplois durables, surtout dans les départements à fort taux de pauvreté en Occitanie où il est appliqué.