Lors de vos consultations, la question du sommeil – et des troubles qui peuvent y être associés – revient-elle régulièrement ?
Oui. Parfois, c’est un sujet qui arrive en toute fin de consultation, mais dans un certain nombre de cas, c’est l’objet même de la visite. C’est une problématique que rencontrent bon nombre de parents et qui, si elle n’est pas accompagnée, peut impacter durablement aussi bien la vie de l’enfant que celle des parents. On voit un certain nombre de couples qui sont fragilisés, car la fatigue s’accumule et parce qu’ils n’ont pas la même vision de la gestion du sommeil de leur enfant.
Tout commence en réalité au moment du premier cri…
C’est vrai. C’est un moment essentiel, vital. Ce cri montre en effet que les fonctions cardiaques et respiratoires du nouveau-né se mettent en place. Les poumons se remplissent d’air pour la première fois. Mais ce cri déroute de nombreux parents. Il a un caractère anxiogène. Et certaines personnes, lorsqu’elles entendent par la suite les autres cris de leur enfant, vont conserver ce sentiment de peur qu’elles avaient eu face au tout premier cri. Or, il faut le répéter, un nouveau-né n’a qu’une seule et unique façon de s’exprimer : le cri et les pleurs.
Ainsi, s’il pleure, notamment la nuit, c’est qu’il a un problème ?
Oui, un enfant qui pleure a un problème. Il appartient donc aux parents de le gérer. Il faut vérifier qu’il est bien, qu’il n’a ni trop chaud ni trop froid, qu’il est convenablement installé. Soyons clairs : la nuit, si un enfant pleure, il faut s’occuper de lui et trouver une réponse adaptée. Si on ne fait rien, l’enfant va finir par s’endormir d’épuisement, mais les conséquences sur son développement seront négatives.
Quelles pourraient être ces conséquences ?
Les études en neurosciences démontrent qu’un enfant auquel on n’a pas apporté de réponse adaptée à cet âge, et que l’on aura par exemple laissé pleurer et crier une partie de la nuit jusqu’à ce qu’il s’endorme d’épuisement, pourrait manquer de confiance en lui une fois adulte. Et au-delà, cette question du sommeil peut également avoir des conséquences dramatiques dès la petite enfance, à l’image du drame des “bébés secoués”. Pour ces raisons, la notion de sommeil est essentielle, et les parents, même s’ils ne le savent pas toujours, ont des solutions pour gérer cette problématique.
Quel conseil donnez-vous, justement, aux parents confrontés à ce genre de problèmes ?
A la naissance de l’enfant, j’explique aux parents que les coliques du nourrisson peuvent débuter au bout de trois à quatre semaines et durer plusieurs mois. Par ailleurs, ils ne savent pas toujours que pendant les quatre premiers mois de sa vie, un enfant ne fait pas la différence entre le jour et la nuit. Jusqu’à quatre mois, un bébé est calé sur le rythme lunaire, avec des phases de sommeil profond et des phases d’agitation. Son rythme, dit “ultra-cadien”, est plus rapide que celui des adultes, dit “circadien”, qui se définit sur 24 heures. Il faut donc lui laisser le temps. Un bébé s’endort toujours sur une phase de sommeil agité, puis il rentrera dans une phase de sommeil profond. Ensuite, vers l’âge de trois ou quatre mois, avec la lumière du soleil, son cerveau va se développer. Les rythmes des repas et des activités, mais aussi ses rythmes biologiques, vont l’amener à se fixer sur un rythme circadien, avec deux ou trois siestes par jour et des nuit de douze à quatorze heures.
Il faut donc être patient…
Mais oui ! Je dis toujours aux parents de prendre un dictionnaire, d’aller chercher la lettre “N” et de barrer le mot “nuit”. Car la notion de nuit ne doit pas les habiter pendant les trois ou quatre premiers mois de la vie de leur enfant. C’est essentiel, car nous sommes là au cœur des fameux “1 000 jours” (du moment de la conception aux deux premières années de la vie, NDLR) : c’est là que tout se décide pour plus tard !
Quand l’enfant grandit, comment gérer la question du sommeil ?
Quand l’enfant grandit, il devient un explorateur. Et cela aussi, les parents doivent l’accepter. Au bout de quelques temps, il se retourne dans son lit. Puis vers huit ou neuf mois, il commence à tenir assis. Vient ensuite la marche. Tout cela participe de sa construction. Il faut donc l’accompagner. La nuit, toutes les images qu’il aura accumulées vont défiler dans son cerveau, au moment où les cycles de sommeil se terminent. Des réveils nocturnes peuvent alors se produire. L’enfant s’agite, pleure un peu. Cela dure quelques minutes puis il se rendort.
Qu’en est-il des cauchemars ?
C’est autre chose. Les cauchemars font partie des parasomnies, au même titre que le somnambulisme, par exemple. En général, cela commence vers deux ans. Il ne faut pas que les parents interviennent trop. Ils ne doivent pas essayer de réveiller leur enfant, mais doivent le rassurer par leur présence. Ils peuvent lui parler à voix basse, passer un linge humide sur son front. Et si cela se répète fréquemment, il peut être utile d’aller voir un pédiatre. Car ces troubles du sommeil ont forcément une cause. Cela peut être lié à un problème alimentaire, à un déménagement, à des soucis intra-familiaux ou à l’école… Ce sont des traumatismes que l’on ne voit pas, mais qui sont bien réels. Il faut donc être à l’écoute. L’enfant doit être pris au sérieux. On doit l’écouter ; c’est 70 % du traitement !
Les écrans peuvent-ils générer des troubles du sommeil ?
Bien entendu, et c’est d’ailleurs un vrai problème. Les pédiatres ont parfois les cheveux qui se dressent sur la tête lorsqu’ils voient, dans la chambre d’hôpital où la mère se repose après son accouchement, que dans 80 % des cas, la télévision est allumée. Le bébé entend et voit ! En la matière, la règle est simple : pas d’écran avant trois ans. Car la lumière des écrans a des effets néfastes sur le sommeil de l’enfant. Elle l’empêche de s’endormir convenablement et génère du stress. Et ensuite, cela peut être l’escalade, avec des effets secondaires sur l’interaction, l’estime de soi la créativité. L’enfant sera susceptible de s’isoler et de perdre ses repères. Il faut vraiment éviter cela !