Construire la protection sociale de demain : la vision et les engagements d’Éric Chenut

© Flickr / Fédération Nationale de la Mutualité Française

La France fait face à des défis majeurs : vieillissement de la population, transitions écologique et numérique, accès aux soins. Éric Chenut, président de la Mutualité
Française, plaide pour une transformation profonde de notre système de protection sociale. Dans cet entretien, il revient sur la nécessité d’un nouveau pacte social, les leviers de financement à mobiliser, et le rôle central des mutuelles pour bâtir une société plus solidaire et inclusive.

À l’heure où le système de santé est confronté à des transitions majeures, quels sont les défis et les enjeux pour notre protection sociale ?

La France fait face à une double injonction, répondre à l’urgence de l’accès effectif aux soins, et engager les réformes structurelles rendues nécessaires par les conséquences économiques et sociales de la triple transition dans laquelle nous sommes engagés.

Une transition écologique qui impacte la santé des femmes et des hommes, parfois en lien avec un environnement de travail qui subit des transformations profondes de ses modes de production et de consommation. Une transition démographique en lien avec le vieillissement de la population, dont les conséquences en termes de besoins de santé et d’accompagnement à domicile sont prévisibles, mais pour laquelle les réponses tardent à venir. Et enfin, une transition numérique, vectrice de risques nouveaux comme d’opportunités concrètes pour le parcours de soins des personnes mais qui reste mal appréhendée.

Nous ne pouvons plus regarder les enjeux aujourd’hui et demain comme nous le faisions dans les années 80. Il est essentiel de réinterroger plusieurs aspects de l’organisation des soins, qu’ils concernent la médecine de ville ou l’hôpital, ainsi que l’offre médico-sociale.

Quelles nouvelles sources de financement la Mutualité Française préconise-t-elle pour garantir la pérennité du système de protection sociale, face à l’évolution des dépenses et au vieillissement de la population ?

Notre système de santé et de protection sociale connaît de graves carences. Aujourd’hui, le débat politique se limite au seul projet de loi annuel de financement de la Sécurité sociale, il n’est pas possible d’avoir un vrai débat démocratique sur des objectifs politiques, d’y associer les acteurs pour construire collectivement des réponses de moyen et de long terme.

Notre première proposition est de retrouver un espace d’échange et de débat démocratique, et d’avoir une vision pluriannuelle des besoins et financements, de dépasser la seule logique de gestion comptable qui conduit inexorablement aux déremboursements de la Sécurité sociale, aux franchises et aux hausses de cotisations des complémentaires santé.

Au-delà, plusieurs leviers peuvent être activés.

Le premier est celui de l’efficience : faire la chasse aux soins inadaptés ou redondants, et agir sur les prescriptions médicales pour s’appuyer sur des dépenses de soins pertinents pour la personne et son parcours de soins.

Le second tient à l’optimisation des recettes. Tout d’abord, en assurant à la Sécurité sociale les moyens de ses missions. Cela signifie qu’il faut revenir à une compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales. Ensuite, il faut interroger les nouveaux espaces de mutualisation des risques, notamment ceux liés au vieillissement de la population.

La Mutualité Française propose de mettre en place une couverture de la dépendance. Adossée à la complémentaire santé et généralisée à l’ensemble de la population, cette couverture permettrait d’assurer une prise en charge des cas de dépendance lourde qui aujourd’hui provoquent des restes à charge très importants.

Face aux nouveaux défis sociaux, économiques et environnementaux, quelles sont les propositions de la Mutualité pour construire un nouveau pacte social plus inclusif et adapté aux enjeux du XXIe siècle ? Quelle place et quelle reconnaissance pour les mutuelles ?

Notre système de protection sociale, fondé sur une articulation entre Assurance maladie obligatoire et Assurance maladie complémentaire, a montré sa force et son intérêt. Pourquoi ? Parce qu’il s’appuie sur deux typologies d’acteurs aux rôles imbriqués. La Sécurité sociale assure une protection socle qui bénéficie à l’ensemble de la population. À but non lucratif, les mutuelles, premiers acteurs de la complémentaire santé proposent des couvertures solidaires qui répondent et s’adaptent aux besoins des personnes qu’elles couvrent, notamment en termes de santé, de prévoyance et de perte d’autonomie.

Les mutuelles interviennent plus largement en lien avec la puissance publique sur le champ du soin et du lien, dans une optique d’intérêt général. Par leurs 3 000 services de soins, sociaux et médico-sociaux, elles couvrent l’ensemble des situations de fragilité et du spectre d’activités, de la petite enfance au grand âge.

Quelles innovations les mutuelles peuvent-elles apporter pour accompagner la transformation du système de protection sociale, notamment dans la prise en charge de nouveaux risques (dépendance, santé mentale, etc.) ?

La Mutualité Française assume son rôle d’actrice du système pour lequel elle est également force de proposition. Face aux problématiques liées à la démographie médicale, nous proposons d’agir sur le partage de compétences entre professionnels du soin et du lien, de travailler à l’attractivité de tous les métiers, en œuvrant sur leur pénibilité et leur juste reconnaissance. Nous proposons également de passer du médecin traitant à une équipe
de soins traitante choisie par le patient.

Nous pouvons également nous appuyer au maximum sur les nouvelles technologies, la mobilisation des données de santé et l’intelligence artificielle pour l’orientation vers le bon soin au bon moment, la structuration des parcours de santé.

Enfin, nous avons un enjeu réel d’investissement sur la prévention, à tous les âges de la vie.

Le congrès de la Mutualité Française vient de s’achever : quelles sont les grandes orientations et propositions validées par les mutualistes ?

Notre congrès arrive au moment où se prépare plusieurs échéances électorales majeures : les élections municipales de 2026, puis les élections présidentielle et législatives de 2027.

Nous appelons à une mobilisation collective pour refonder le système de protection sociale, retrouver des espaces de lien intergénérationnel et renforcer les mutualisations de risques en santé comme en prévoyance.

À l’occasion de notre 44e congrès, nous avons fait le choix de porter un message fort, de se donner les moyens d’inspirer les solutions de demain.