Les droits liés à la fin de vie sont encore trop souvent méconnus. Comment faire connaître sa décision ? Quel rôle pour la famille, pour les médecins ? Comment la loi peut-elle évoluer, demain ? Le 20 novembre, la Mutualité Française organise une visioconférence sur ce thème, animée par Jean-Luc Romero-Michel, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Interview.
Pouvez-vous nous présenter les grandes missions de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, que vous présidez ?
Fondée en 1980, cette association a pour but de mettre la personne en fin de vie au cœur du débat, au centre des décisions, pour que ses volontés soient respectées, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui. L’objectif est qu’elle puisse, si elle le souhaite, pouvoir décider d’arrêter sa vie, en choisissant l’euthanasie ou le suicide assisté. Car nous avons tous le droit de mourir dans la dignité. Mais l’ADMD milite également pour faire respecter les lois actuelles, afin qu’il n’y ait pas d’acharnement thérapeutique. Enfin, nous voulons que des moyens soient mis sur la table afin de développer et de généraliser l’accès aux soins palliatifs (soins visant à soulager les douleurs physiques et psychologiques, le plus souvent en fin de vie, NDLR).
Selon vous, cette question est d’autant plus d’actualité dans la période actuelle, marquée par la pandémie de Covid-19 ?
Absolument ! Globalement, concernant la question des soins palliatifs, sur le diagnostic, il y a consensus. Mais les moyens financiers, malheureusement, ne sont pas au rendez-vous. Le dernier plan dédié à cette problématique a pris fin en 2018. Qu’a-t-on fait depuis ? En France – et il faut s’en féliciter -, on investit beaucoup sur le début de la vie. Mais pour la fin de vie, l’argent n’est pas là. On le voit clairement avec la crise de la Covid-19. Nous avons tous le droit d’être accompagnés. La fin de vie doit être prise en charge afin d’être rendue la plus supportable possible. Actuellement, dans le contexte sanitaire qui est le nôtre, l’heure est à l’urgence, bien entendu. Mais quand cette gestion de crise sera derrière nous, il faudra tirer le vrai bilan de ce qui s’est passé.
La loi Claeys-Leonetti – qui date de 2016 -, récuse l’acharnement thérapeutique, même pour les patients qui ne seraient pas capables d’exprimer leur volonté. Concrètement, qu’est ce que ça signifie ?
Proclamer un droit, c’est bien. Mais encore faut-il se donner les moyens de l’appliquer. Aujourd’hui, l’acharnement thérapeutique continue. Tous les jours, dans les Ehpad, on force des personnes très âgées à se soigner contre leur volonté. La surmédicalisation est la règle. Les personnels ne sont pas formés, et rien n’est prévu pour les aidants. Tout le monde reconnaît que l’acharnement thérapeutique est un problème, mais, là encore, rien n’est fait.
Vous militez pour le droit à l’euthanasie. Pour l’heure, la loi autorise la « sédation profonde et continue »…
On voit bien ici l’hypocrisie du discours. En effet, la loi autorise la sédation profonde et continue, c’est-à-dire la possibilité, pour le médecin, d’endormir son patient en fin de vie, de façon à ce qu’il ne se réveille plus. Concrètement, cela signifie que l’on vous endort et que l’on arrête de vous alimenter et de vous hydrater. Avant de mourir, il peut se passer jusqu’à trois semaines… Par conséquent, c’est une forme d’euthanasie. L’hypocrisie est bien là, puisque le médecin sait que la personne va mourir.
Pour vous, aujourd’hui, en matière de fin de vie, toutes les décisions sont prises par les médecins, tandis que les usagers de la santé, eux, sont « oubliés » ?
Oui, c’est bien tout le problème. On a complètement oublié les usagers de la santé, les patients et leurs proches. Seuls les médecins, les “sachants”, sont invités à prendre des décisions. En ce moment, c’est particulièrement criant ! Les patients doivent pouvoir se faire entendre. Car après tout, nous sommes tous des malades potentiels. La fin de la vie ne devrait pas être une affaire médicale, mais une question de liberté, de choix.
Comprenez-vous que des personnes, pour des questions éthiques, morales ou religieuses, puissent être opposées à cela ?
Bien sûr. C’est la raison pour laquelle il faut une loi qui respecte la conscience de chacun. Je suis d’ailleurs favorable à l’instauration d’une clause de conscience pour les médecins. Et il est très important que les personnes qui sont opposées à l’euthanasie et au suicide assisté soient protégées. Nous parlons ici d’un choix, d’une liberté. 96 % des Français sont favorables à la légalisation de l’euthanasie. Les gens ont du bon sens ; il veulent avoir cette liberté. Rien ne doit nous obliger à mourir en souffrant ! J’insiste : je ne suis pas militant de l’euthanasie, mais du libre choix.
Le travail de pédagogie doit se poursuivre, car la loi actuelle prévoit déjà – et tout le monde ne le sait pas -, la possibilité, pour toutes les personnes majeures, de rédiger des “directives anticipées”. De quoi s’agit-il ?
C’est la possibilité d’écrire ses dernières volontés. La loi le permet en effet, et c’est tant mieux. Mais là encore, on n’a fait que la moitié du chemin. Car les directives anticipées ne sont ni obligatoires, ni opposables. Ce qui signifie que si un médecin estime qu’elles sont “manifestement inappropriées”, alors il peut ne pas en tenir compte. Quant aux volontés exprimées oralement, elles n’ont pas de valeur, ce qui génère des situations familiales parfois compliquées. Il faut en effet continuer le travail de pédagogie, ne pas avoir peur de parler de ces sujets. Car parler de la fin de vie, c’est parler de la vie. Éviter le sujet ne préserve pas de la mort.