Substances toxiques : chronique d’un problème de santé publique annoncé
- Actualité
- 2 mars 2012
Et si les produits de notre quotidien tendaient à modifier l’équilibre fragile de l’homme ? C’est en substance le message que tente de faire passer Stéphane Horel dans son film documentaire « La grande invasion ». A l’occasion de la projection organisée par la Mutualité Française Languedoc-Roussillon dans le cadre des rencontres santé, la journaliste s’est exprimée lors d’un débat en présence du professeur Charles Sultan, endocrinologue au CHU de Montpellier, sur ces molécules qui nous intoxiquent au quotidien. 110 personnes ont assisté à cette soirée d’échanges.
Dans nos maisons, à notre insu, des milliers de substances chimiques partagent notre vie quotidienne, nichées dans la nourriture et l’eau, incrustées dans les détergents, les plastiques ou les tissus. Loin d’être un film catastrophe, le reportage « La grande invasion » de Stéphane Horel est un travail journalistique axé sur les dernières études scientifiques menées sur les animaux mis en contact avec certaines substances qui nous entourent. Un film comme un cri d’alarme, la chronique d’un problème de santé publique à grande échelle annoncé.
C’est pourquoi La Mutualité Française Languedoc-Roussillon a choisi de diffuser cette enquête le mardi 28 Février, en partenariat avec la ville de Montpellier, pour illustrer sa soirée cinéma santé débat sur le thème des« Influences de l’environnement sur notre santé ». La projection du film a été suivie d’un débat entre la journaliste et le professeur Charles Sultan, endocrinologue au CHU de Montpellier.
Des effets certains mais difficilement mesurables
« La grande invasion » est un film dont on ne ressort pas indemne. Les conclusions dont nous font part les scientifiques qui y sont interviewés sont inquiétantes. Le spectateur peut alors être pris d’un besoin soudain de changer ses habitudes pour se protéger des produits toxiques qui perturbent notre organisme au quotidien. Les produits chimiques sont partout dans notre corps et nous les retrouvons dans le sang, le lait maternel et le cordon ombilical des nouveaux nés. Plus nous consommons, plus nous ingérons ces molécules ou agents chimiques appelés perturbateurs endocriniens. Ils agissent directement sur notre équilibre hormonal et sont susceptibles d’avoir des effets indésirables sur la santé en altérant, entres autres, des fonctions telles que la croissance, le comportement, la circulation sanguine ou encore la fonction sexuelle et reproductrice. « Il est très difficile de mesurer précisément l’ampleur et les conséquences précises de ces molécules sur l’organisme » précise Stéphane Horel car elles agissent à très faible dose, et peuvent perturber l’organisme de façon discrète, parfois sur plusieurs générations. Pour comprendre et analyser les effets d’un produit sur l’organisme, les scientifiques ont besoin de patients qui n’ont pas été exposés. Si cela a été possible avec les pesticides, en comparant des agriculteurs et des citadins, il est impossible de procéder de la sorte pour comprendre les effets de certaines molécules contenues dans le plastique, matière qui a envahi notre quotidien partout dans le monde.
Ces produits qui nous intoxiquent
Bisphénol A, polybromodiphényléthers (PBDE) ou encore Phtalates sont des molécules dont on commence à mesurer les effets sur la santé. Mises sur le banc des accusés, elles sont pourtant présentes partout : gourde, lave vaisselle, rasoir, film alimentaire, vernis, shampoings, gants, tongs, semelles, canapés, ordinateurs, téléphones … Cette liste, à la Prévert, n’en finit pas de s’allonger et Stéphane Horel s’amuse de constater que, pour agir, le gouvernement vient d’interdire le Bisphénol A dans les biberons. « Le principe de précaution ne devrait- il pas s’appliquer sur tous les produits contenant ces molécules ? » Car les tests réalisés sur les souris mis en contact ou ingérant cette molécule, mettent en évidence une augmentation de l’hyperactivité, de l’obésité, des cas de cancer des testicules ou encore des glandes mammaires.
Si les études sur les PBDE, molécule utilisée pour réduire le développement du feu, commencent à peine, les Phtalates ont, quant à eux, fait apparaitre des modifications sur la distance ano-génitale des animaux étudiés. Cette mesure est de plus en plus utilisée pour traduire le taux de certaines hormones auxquelles l’individu a été exposé. Chez l’homme cette distance semble également corrélable avec un risque augmenté d’anomalies qui évoquent également une féminisation que l’on suppose justement être liée à des perturbateurs endocriniens lors de la vie fœtale, au moment de la formation des testicules. Le professeur Charles Sultan précisera, à la suite de la projection du film, que l’expression de 51 gènes a été modifiée sur les animaux traités au Bisphénol A.
La projection du film a été suivie d’un débat entre la journaliste et le professeur Charles Sultan, endocrinologue au CHU de Montpellier.
Aucune étude menée sur l’homme
Les études sur l’homme n’ont pas encore débuté mais comment imaginer que ce qui se constate chez le rat, la souris ou encore le singe puisse ne pas avoir les mêmes effets sur l’homme ? « Nous ingérons quotidiennement des cocktails de dizaines de substances potentiellement nocives dont les effets ne sont pas encore étudiés sur l’homme» précise Stéphane Horel. Les phénomènes récents comme la puberté précoce, la baisse de la fertilité, la multiplication des cancers de la prostate ou encore l’hyperactivité et les troubles du comportement chez les enfants ont-ils une corrélation avec l’utilisation de plus en plus fréquente de ces molécules dans nos habitations ?
Stéphane Horel pose alors une question essentielle avec son documentaire : « Devons-nous attendre, comme pour le plomb ou encore l’amiante, que l’homme soit exposé encore pendant plusieurs générations pour pouvoir constater les effets et agir ? » Et Stéphane Horel, de préciser que ce film, s’il pouvait participer à une prise de conscience collective à l’heure où l’on parle du principe de précaution, aurait pleinement rempli sa mission d’information.
Principe de précaution
Durant le débat qui achevait cette soirée axée sur la promotion de la santé, il a surtout été question de précaution. Comment se prémunir de ces risques potentiels, peut-on vivre au 21ème siècle sans être en contact avec ces molécules. « Nous ne pouvons bien évidement pas tous vivre comme des Amishs et il est difficile pour les chimistes, dont les découvertes ont en partie changé le monde, de nous annoncer aujourd’hui qu’ils sont désolés et qu’il faut arrêter de fabriquer ces matières qui nous intoxiquent ». Stéphane Horel explique, justifiant ainsi la réalisation de son film, que la réponse se trouve dans la prise de conscience et dans le principe de précaution, qu’il soit individuel ou collectif. La journaliste accompagnée du professeur Charles Sultan donnent ensuite quelques pistes pour tenter de minimiser l’exposition aux perturbateurs endocriniens, comme des principes de bon sens. Ne pas réchauffer de la nourriture dans des emballages en plastique car la chaleur favorise la migration de certaines substances vers les aliments. Eviter de consommer des produits transformés, souvent en contact avec des matières plastiques durant la phase de fabrication et/ou de conditionnement. Eviter les films alimentaires ou encore l’aluminium et préférer les bouteilles d’eau en verre à celles en plastique. Enfin, pour éviter l’ingestion de pesticide, le mieux est encore de manger de saison et de favoriser les circuits courts tout en prenant bien soin de laver les fruits et légumes. Il existe de nombreux sites internet qui proposent des conseils pour minimiser les risques. Ils ne garantissent pas une non exposition et le principe de précaution doit être amplifié et généralisé par les politiques, seuls habilités à interdire à grande échelle la fabrication de produits contenant certaines molécules suspectes en attendant les études sur l’homme.
R.Suave