Substances toxiques : chronique d’un problème de santé publique annoncé

Et si les produits de notre quotidien tendaient à modifier l’équilibre fragile de l’homme ? C’est en substance le message que tente de faire passer Stéphane Horel dans son film documentaire « La grande invasion ». A l’occasion de la projection organisée par la Mutualité Française Languedoc-Roussillon dans le cadre des rencontres santé, la journaliste s’est exprimée lors d’un débat en présence du professeur Charles Sultan, endocrinologue au CHU de Montpellier, sur ces molécules qui nous intoxiquent au quotidien. 110 personnes ont assisté à cette soirée d’échanges.

Dans nos maisons, à notre insu, des milliers de substances chimiques  partagent notre vie quotidienne, nichées dans la nourriture et l’eau,  incrustées dans les détergents, les plastiques ou les tissus.  Loin  d’être un film catastrophe, le reportage  « La grande invasion » de  Stéphane Horel est un travail journalistique axé sur les dernières  études scientifiques menées sur les animaux mis en contact avec  certaines substances qui nous entourent.  Un film comme un cri d’alarme,  la chronique d’un problème de santé publique à grande échelle annoncé.

C’est pourquoi La Mutualité Française Languedoc-Roussillon a choisi  de diffuser cette enquête le mardi 28 Février, en partenariat avec la  ville de Montpellier, pour illustrer sa soirée cinéma santé débat sur le  thème des« Influences de l’environnement sur notre santé ». La  projection du film a été suivie d’un débat entre la journaliste et le  professeur Charles Sultan, endocrinologue au CHU de Montpellier.

Des effets certains mais difficilement mesurables

« La grande invasion » est un film dont on ne ressort pas indemne.  Les conclusions dont nous font part les scientifiques qui y sont  interviewés sont inquiétantes. Le spectateur peut alors être pris d’un  besoin soudain de changer ses habitudes pour se protéger des produits  toxiques qui perturbent notre organisme au quotidien.  Les produits  chimiques sont partout dans notre corps et nous les retrouvons dans le  sang, le lait maternel et le cordon ombilical des nouveaux nés. Plus  nous consommons, plus nous ingérons ces molécules ou agents chimiques  appelés perturbateurs endocriniens. Ils agissent directement sur notre  équilibre hormonal et sont susceptibles d’avoir des effets indésirables  sur la santé en altérant, entres autres,  des fonctions telles que la  croissance, le comportement, la circulation sanguine ou encore la  fonction sexuelle et reproductrice. « Il est très difficile de mesurer précisément l’ampleur et les conséquences précises de ces molécules sur l’organisme »  précise Stéphane Horel car elles agissent à très faible dose, et  peuvent perturber l’organisme de façon discrète, parfois sur plusieurs  générations. Pour comprendre et analyser les effets d’un produit sur  l’organisme, les scientifiques ont besoin de patients qui n’ont pas été  exposés. Si cela a été possible avec  les pesticides, en comparant des  agriculteurs et des citadins, il est impossible  de procéder de la sorte  pour comprendre les effets de certaines molécules contenues dans le  plastique, matière qui a envahi notre quotidien partout dans le monde.

Ces produits qui nous intoxiquent

 Bisphénol A, polybromodiphényléthers (PBDE) ou encore   Phtalates sont des molécules dont on commence à mesurer les effets sur  la santé. Mises sur le banc des accusés, elles sont pourtant présentes  partout : gourde, lave vaisselle, rasoir, film alimentaire, vernis,  shampoings, gants, tongs, semelles, canapés, ordinateurs, téléphones …   Cette liste, à la Prévert, n’en finit pas de s’allonger et Stéphane  Horel s’amuse de constater que, pour agir, le gouvernement vient  d’interdire le Bisphénol A dans les biberons. « Le principe de précaution ne devrait- il pas s’appliquer sur tous les produits contenant ces molécules ? »  Car les tests réalisés sur les souris mis en contact ou ingérant cette  molécule, mettent en évidence une augmentation de l’hyperactivité, de  l’obésité, des cas de cancer des testicules ou encore des glandes  mammaires.

Si les études sur les PBDE, molécule utilisée pour réduire le  développement du feu, commencent à peine, les Phtalates ont, quant à  eux, fait apparaitre des modifications sur la distance ano-génitale des  animaux étudiés. Cette mesure est de plus en plus utilisée pour traduire  le taux de certaines hormones auxquelles l’individu a été exposé. Chez  l’homme cette distance semble également corrélable avec un risque  augmenté d’anomalies qui évoquent également une féminisation que l’on  suppose justement être liée à des perturbateurs endocriniens lors de la  vie fœtale, au moment de la formation des testicules. Le professeur  Charles Sultan précisera, à la suite de la projection du film, que  l’expression de 51 gènes a été modifiée sur les animaux traités au  Bisphénol A.

Ciné santé débat santé environnement 2 RS34-Fév 2012

La  projection du film a été suivie d’un débat entre la journaliste et  le  professeur Charles Sultan, endocrinologue au CHU de Montpellier.

Aucune étude menée sur l’homme

 Les études sur l’homme n’ont pas encore débuté mais comment imaginer  que ce qui se constate chez le rat, la souris ou encore le singe puisse  ne pas avoir les mêmes effets sur l’homme ? « Nous ingérons  quotidiennement des cocktails de dizaines de substances potentiellement  nocives dont les effets ne sont pas encore étudiés sur l’homme»  précise  Stéphane Horel. Les phénomènes récents comme la puberté précoce, la  baisse de la fertilité, la multiplication des cancers de la prostate ou  encore l’hyperactivité et les troubles du comportement chez les enfants  ont-ils une corrélation avec l’utilisation de plus en plus fréquente de  ces molécules  dans nos habitations ?

Stéphane Horel pose alors une question essentielle avec son documentaire : « Devons-nous  attendre, comme pour le plomb ou encore l’amiante, que l’homme soit  exposé encore pendant plusieurs générations pour pouvoir constater les  effets et agir ? » Et Stéphane Horel, de préciser que ce film, s’il  pouvait participer à une prise de conscience collective à l’heure où  l’on parle du principe de précaution, aurait pleinement rempli sa  mission d’information.

Principe de précaution

Durant le débat qui achevait cette soirée axée sur la promotion de la  santé, il a surtout été question de précaution. Comment se prémunir de  ces risques potentiels, peut-on vivre au 21ème siècle sans être en contact avec ces molécules. « Nous  ne pouvons bien évidement pas tous vivre comme des Amishs et il est  difficile pour les chimistes, dont les découvertes ont en partie changé  le monde, de nous annoncer aujourd’hui qu’ils sont désolés et qu’il faut  arrêter de fabriquer ces matières qui nous intoxiquent ». Stéphane  Horel explique, justifiant ainsi  la réalisation de son film, que la  réponse se trouve dans la prise de conscience et dans le principe de  précaution, qu’il soit individuel ou collectif. La journaliste  accompagnée du professeur Charles Sultan donnent ensuite quelques pistes  pour tenter de minimiser l’exposition aux perturbateurs endocriniens,  comme des principes de bon sens. Ne pas réchauffer de la nourriture dans  des emballages en plastique car la chaleur favorise la migration de  certaines substances vers les aliments.  Eviter de consommer des  produits transformés, souvent en contact avec des matières plastiques  durant la phase de fabrication et/ou de conditionnement. Eviter les  films alimentaires ou encore l’aluminium et préférer les bouteilles  d’eau en verre à celles en plastique. Enfin, pour éviter l’ingestion de  pesticide, le mieux est encore de manger de saison et de favoriser les  circuits courts tout en prenant bien soin de laver les fruits et  légumes. Il existe de nombreux sites internet qui proposent des conseils  pour minimiser les risques. Ils ne garantissent pas une non exposition  et le principe de précaution doit être amplifié et généralisé par les  politiques, seuls habilités à interdire à grande échelle la fabrication  de produits contenant certaines molécules suspectes en attendant  les  études sur l’homme.

R.Suave