Rencontres intergénérationnelles : l’étonnante attraction des différences

Ils sont jeunes, dynamiques et bruyants. Eux sont vieux, malades et plutôt silencieux. Tout les oppose, mais ils vont pourtant vivre une rencontre inattendue et apprendre à se découvrir pour vivre ensemble des moments de partage, créer des liens affectifs et s’apporter un soutien mutuel dans leurs difficultés respectives.

8 jeunes en difficulté scolaire et parfois familiale ont choisi de rendre visite aux personnes âgées souffrant de la maladie d’Alzheimer pour partager leurs mardi après-midi  afin de réaliser ensemble quelques recettes de cuisine. Loin des idées reçues et des appréhensions initiales, chaque génération a beaucoup apporté à l’autre dans un esprit de partage et de respect au point de nouer entre eux des liens forts, métamorphosant l’ensemble des participants.

Tordre le cou aux idées reçues
Les préjugés…Ces idées reçues qui tentent de contraindre le plus grand nombre à avoir une opinion commune sur une chose dont elles ignorent l’essentiel, ont la peau dure. Parlez de jeunes en difficultés et pour certains, le stéréotype de l’adolescent rebelle sans repère n’ayant de respect pour rien ni pour personne surgira dans la seconde. Ce sont pourtant ces mêmes jeunes en difficultés scolaires et familiales qui ont choisi de  participer à des ateliers de cuisine en compagnie de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Le stéréotype en prend un coup et le cliché surannée laissent place à une réalité beaucoup plus humaine et positive, ou, quand ces mêmes jeunes en difficultés choisissent de donner de leur temps pour aider leurs aïeux…   « Le principe du volontariat a semblé nécessaire car ce projet n’a de sens que par la motivation réelle des participants » explique Françoise BERNARD, coordinatrice du projet pour la Mutualité Française Languedoc-Roussillon. Si certaines personnes accueillies dans le Cajou ont pu sembler réticentes au début, tous ont participé aux activités montrant ainsi une image de la vieillesse bien loin de celle que ces jeunes pouvaient en avoir. Au fil des rires, des chansons et des dégustations, les liens se sont noués, les appréhensions ont disparu et chacun a appris à connaitre l’autre pour  finalement comprendre qu’ils avaient beaucoup à s’apporter.

Etre soi-même, sans peur d’être jugé 
« Il est assez impressionnant de constater la différence de comportement quand ils sont entre eux au collège et quand ils viennent au Cajou de Bompas », s’étonne encore Sylvie WEBER, professeur de biotechnologie qui accompagne le groupe de collégiens. Il existe, dans les établissements scolaires, des codes dont ils peuvent ici s’affranchir. Nul besoin de frimer pour épater les autres, ni même de  bomber le torse au risque de passer pour un faible. Ici, nul jugement. La bienveillance, le respect et le silence sont de mise et ne sont en aucun cas perçus comme des signes de faiblesses tels qu’ils pourraient l’être au sein de leur établissement. Ces jeunes deviennent altruistes, polis, attentionnés et mêmes intimidés pour certains, face à ces personnes âgées dont les codes sont bien éloignés de ceux de la cour de récréation. Ils éprouvent alors une grande fierté à les appliquer ces valeurs, et découvrent le plaisir de faire plaisir, la satisfaction d’un sourire comme récompense. La délicatesse dont fait preuve Anthony, qui s’applique à servir avec fierté une boisson à ses hôtes pour accompagner la dégustation des biscuits qu’ils ont cuisiné ensemble en est la meilleure preuve. « Ils m’apprennent à être calme et respectueux avec eux, c’est mieux que les cours, c’est la vie… »

La récompense de se sentir utile
Le partage est sans doute la clé de la réussite de cette action. Rose, 79 ans, explique un petit sourire aux lèvres : « ils viennent s’occuper de nous, mais je crois qu’on leur apporte quelque chose aussi, ils ont l’air de s’amuser, ils sont joyeux et ça nous rend joyeux ». N’ayant pas de petits enfants, elle confie  « ça fait du bien de rencontrer la jeunesse, on s’apprend des choses ». Ces confrontations entre générations ont cela de magique : la complémentarité.

Les personnes âgées ont été chargées de trouver des recettes afin de valoriser leurs connaissances et faire travailler leur mémoire. Les jeunes apportent leur dynamisme et leur spontanéité. Ils apprennent en retour la patience et l’échange et se sentent utiles. Ils prennent conscience qu’ils ont quelque chose à donner. C’est un signe très encourageant et extrêmement positif quand on se sent coincé entre les mots « jeune » et « difficulté ». En participant de bon cœur aux chansons et jeux lancés par ces collégiens, comme des petits défis à cette génération qu’ils découvrent, les résidents du Cajou valorisent et dépoussièrent l’image de la vieillesse. « J’aimerais être aussi vif que Rolande quand j’aurais son âge » confie le jeune Anthony du haut de ses 16 ans. Ces rencontres intergénérationnelles sont un véritable échange entre deux personnes, entre deux groupes, qui ont en commun l’envie d’échanger, de rencontrer et d’apprendre à connaitre l’autre.

Il est des programmes qui échappent à leurs organisateurs. Ce projet, une fois les premières réticences surmontées, brille aujourd’hui par son succès. L’espoir suscité par l’enthousiasme de chacun des participants est ici un signe incontestable de la réussite qui va bien au-delà des objectifs initiaux du projet. Les collégiens se sont littéralement appropriés le projet au point de le rebaptiser « le bonheur du mardi ». De l’aveu de certains leur seul regret est de savoir que ce projet aura une fin. Certains professeurs ont fait le déplacement pour constater d’eux-mêmes ce qu’ils avaient entendu dire : ces jeunes, qualifiés de difficiles, se sont métamorphosés en présence de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ils donnent, soutiennent, accompagnent ceux qui ont l’âge d’être leurs grands parents, sans rien attendre d’autre que le plaisir de se sentir utile.

Les résidents, quant à eux, retrouvent une certaine jeunesse et une vitalité d’esprit en compagnie de ces jeunes qui leur apportent rire, détente et amusement.  Des vocations se créent, comme pour Sarah, 15 ans, confortée dans son choix de travailler plus tard dans un établissement pour personnes âgées. « J’ai plaisir à les rendre heureux. Je sais qu’ils sont impatients de nous revoir et ils savent qu’on pense à eux. C’est important car ça donne une autre image des jeunes. » Trouver sa place, se sentir utile et assumer celui que l’on est réellement, c’est finalement franchir un pas de géant vers l’assurance de la maturité pour s’affranchir du costume, devenu trop étroit, de l’adolescence.